La belle histoire...

Elle est dans mon garage ! Elle est flambante ! Je suis comme un gamin le lendemain de Noël et je passe mon chiffon en microfibres dans les moindres recoins. Ce matin j’en ai pris possession dans une petite concession distante de trente kilomètres de chez moi et je l’ai ramené gentiment dans sa nouvelle maison en me demandant si je n’allais pas me réveiller. Il faut dire que ça n’a pas été simple d’en arriver là.

Tout à commencé cet hiver, lorsque ma décision a été enfin prise. Je voulais, cette fois, une vraie routière. En fait, j’ai toujours voulu une vraie routière. Il y a quelques années j’ai eu une 900 Diversion. Elle était très bien mais j’avais des fourmis dans les poignets au bout de deux heures. Pour l’heure, je roulais sur un 1200 Custom XL Harley (magnifique d’ailleurs) car je crois bien que je n’osais pas franchir le pas du gabarit imposant de ces bécanes dites « GT ».

Et puis il y avait eu ce voyage aux USA, en octobre dernier et cette fabuleuse semaine au guidon d’une Ultra bicolore, beige et marron. Plus de 2000km dans des paysages à couper le souffle, avec ma chérie qui trouvait, qu’en fait, ce n’était pas mal ce genre de moto… De retour en France je me mis à gamberger. A Toulouse, lors d’une visite aux enfants, nous faisons un passage chez HD et, en sortant, je suis presque décidé pour une Ultra d’occasion. Mais mon amoureuse me tire par la manche car la concession Honda est juste en face. Ok, on va jeter un coup d’œil. Super accueil, belles bécanes dans le show-room, et puis elle ajoute qu’elle ni connais rien mais qu’ici ils sont gentils et qu’elle préfère le bruit du moteur de la Gold: le verre était dans le fruit.

S’en suit alors pour moi une longue période de réflexion et de comparaisons les plus diverses (merci Internet). Et puis un beau matin, tout s’éclaire. Ce ne sera pas l’Ultra glide mais une GL 1800 d’avant 2012. Alors là vous vous dites : « Pourquoi une Gold plutôt qu’une Harley et pourquoi d’avant 2012 ?»

Pour la première partie de la question c’est simple : la Gold est objectivement plus performante dans tous les domaines mais l’Ultra est une HD. Dit autrement : l’Ultra est une Harley, un mythe roulant, un morceau d’histoire américaine fantastique mais techniquement pas à la hauteur de la Honda qui représente le must de ce type de motos. Alors restait à déterminer ce qui comptait le plus pour moi. Je précise bien : pour moi ! Adieu le mythe américain. Les images que je garderai de ce road-trip au guidon de ma belle américaine n’auront jamais d’équivalent. Je n’oublierai jamais le soleil couchant sur Monument Valley qui se dessine soudain en ombres chinoises au bout du long ruban et qui grossit au fil des kilomètres, ou cet arrêt de nos quatorze motos sur le côté du ruban noir, pointillé de jaune, qui fend le désert en direction du sud, à l’endroit précis ou fut tourné la scène dans laquelle Forest Gump court, entouré de ses admirateurs. Et puis encore cette arrivée au Roy’s motel de la route 66, sous un soleil de plomb. Je coupe le moteur, mais je laisse le son de la country nous accompagner un instant pendant que je me verse une bouteille d’eau sur la tête. C’était magique ! C’était LA moto qu’il fallait pour ce type de trip. Mais je ne vis pas aux US et nos routes ne sont pas les mêmes. Les conditions de circulation non plus. Et puis il y a le folklore HD français qui ne m’emballe pas… Donc, tout cela posé, le choix était évident, ce serait la Gold.

Pour la seconde partie de la question, (rappelez-vous, « …avant 2012 ») deux éléments guidaient ce choix. Le premier est que je crois que c’est à cette date que le look de la Gold change et ne me plait plus, ce qui tombait bien, vous en conviendrez, car le second est que je ne pouvais consacrer à ma future maîtresse que le prix des reventes de mon Custom et de ma 2CV camionnette de 1976, soit 13000€ au total.

Bien, bien, bien… Maintenant il faut trouver la perle. Et là, je m’aperçois qu’elle est rare. Je vous fais grâce des « Malheureusement il y a déjà quelqu’un dessus » ou des « C’est bête je l’ai vendue hier » en passant par les « Non je n’ai pas les documents mais on s’en fout de toute façon… ». J’oublie également celles qui ont été personnalisées (non, je n’en dirais pas plus sur les choix de peintures perso…) et, bien entendu, celles qui en valent une et demi. Bref, j’en trouve une qui correspond à peu près à mon cahier des charges (docs à jour, très propre, 2009, pas d’artifices, seconde main, 60000km et prix dans mes cordes – enfin en étirant les cordes, quand même – elle est gris métal). Le seul problème c’est qu’elle est en Bretagne. Dur d’aller faire un essai. Presque 800 bornes, rien qu’à l’aller, avec le risque que cela ne le fasse pas. Palabres au téléphone avec le gars de la concession qui semble correct et qui me propose une livraison dans une concession de mon choix pour un prix sympa, trois mois de garantie et qui me donne sa parole que je serai content. Je lui fais confiance car il y avait une seconde bécane (une rouge), mieux équipée que celle-là, avec moins de km, qu’il vendait donc plus chère mais il me dit que la grise correspondra mieux à mon choix car elle est vraiment nickel sous tous rapports. Quelques coups de téléphone s’en suivent pendant lesquels je lui prends bien la tête et, un jour de fin mai, je me lance. J’ai l’impression de faire du saut à l’élastique les yeux bandés quand je fais le virement…

Le temps va, dès lors, s’écouler au ralenti. Je l’appelle tous les deux jours pour savoir où on en est. « Elle est partie vendredi » me rassure-t-il. Mais je n’ai pas de pot, week-end de l’Ascension. Pan ! Un jour de mieux dans les dents. La boite de transport assure une livraison en douze jours ouvrés maximum. Sympa quand tu l’entends la première fois et puis tu te rends compte que des jours ouvrés il n’y en a que quatre par semaine. Alors je ronge mon frein et j’apprends la doc par cœur grâce à Internet, au forum et aux tutos.  Le temps s’écoule de plus en plus lentement. Hier, jeudi j’appelle la concession où elle doit être livrée et, miracle, elle est là depuis un quart d’heure. Je me roulerais par terre de joie si je ne me retenais pas. Mais le gars me calme aussi sec. Ces abrutis de transporteurs ont démonté le pare-brise pour qu’elle rentre dans leur camion à deux niveaux et ont perdu des pièces. Ils n’ont, bien sûr, rien dit à la concession de destination qui vient donc de commander illico les dites pièces. Elles arriveront le lendemain (aujourd’hui). Enfin… Si tout va bien. Ce matin donc, je me pointe chez Honda avec la boule au ventre et Alléluia ! Elle est prête, rutilante. Elle me fait de l’œil quand je rentre sur le parking ensoleillé. Quelques formalités, deux ou trois photos, 140€ de facture (qui vont m’être remboursés), j’enfourche ma nouvelle monture et nous faisons connaissance. Trente bornes dans le feutré, comme dirait Audiard. Une demi-heure plus tard je la gare dans ma cour et je reste quelques minutes à décompresser en l’admirant. Nous sommes déjà comme deux vieux copains. Alors elle me raconte que ce serait mieux si je changeais l’ampoule de code qui refuse de lui donner un beau regard. Je m’empresse de lui faire plaisir et je la rentre à sa nouvelle place, dans le garage. Je remplace l’ampoule puis je la bichonne comme on le ferait  pour un cheval qui vient de remporter une course, sentant ses courbes sous mes doigts. Je l’apprends. Puis je confectionne des petits tapis de moquette grise pour le top-case et les deux boites à gants.

Voilà. Une bâche pour la protéger de la poussière et je la laisse récupérer de ses émotions. Demain sera un autre jour. Un autre beau jour.