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Hivernale impromptue
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Hivernale impromptue
Et oui, certains se sont fait surprendre...
par Koud pied o kick | 20.11.2018 à 07:00
Hivernale impromptue
Bordel Climatique
"Réchauffement" est impropre : parlons plutôt de Bordel Climatique.
J'ai démarré sous la pluie et me voilà dans une tempête de neige en plein mois de novembre.
Lundi matin. Il pleut. Six heures cinq. Je reste quelques instants à la fenêtre à regarder les auréoles dans les flaques orange et noires. La vitre irradie du froid. Lapin-Lap1 (mon fidèle destrier) luit. Juste devant lui : ma caisse. Le Vrai Motard en moi renifle et le Caisseux capitule.
L'eau coule et tourne au café (l'Autre avait fait du vin : bah). Je m'habille doucement pour ne pas la réveiller : ardu avec les vêtements de pluie qui font un gros raffut de feuilles mortes mouillées dans le salon. Je n'allume pas. Je n'allume jamais : je trouve mes affaires au toucher. J'ouvre la porte : air plus froid ; la cage d'escalier bruisse de mon pantalon, de mon sac à dos qui frotte. En bas, j'enfile mon casque et ferme la visière.
Je suis dehors. Un petit vent. Tip-tip-tap : des gouttes sur le casque. Je traverse la rue. Je suis encore malhabile avec Lapin-Lap1. Je cherche le contacteur, comment attraper l'ouverture de selle, j'oublie de rabattre la latérale avant de lancer le moteur. Le mono s'éveille en donnant des petits coups dans le guidon. Je fais mon point fixe. Des perles d'eau roulent sur le compteur.
Pas un chat dans la rue. Doux sur les gaz. Rien ne presse : je suis en avance. Je vise entre les bandes blanches, j'évite les plaques d’égout. Il pleut peu ; je contiens la trouille. Je reste sagement derrière un bus : sur le sec, je l'aurais passé par la droite au feu vu qu'il tourne. J'enquille la longue montée vers Daix. C'est bientôt la campagne. Je prends la petite route défoncée. Attention à la priorité à droite où j'ai failli me bouffer une camionnette il y a quelques jours : ça m'apprendra à ne pas faire gaffe même à six heures du mat'.
Je chasse l'eau de la visière. Les pare-brise des voitures sont pleins de buées ce matin : ça doit cailler, mais la polaire et le cuir suffisent sous la veste de pluie ; je suis content de mon équipement. Ça doit même cailler sévère parce qu'il y a de la gelée blanche sur l'herbe au bord de la route. Gelée blanche. Pluie. Gelée blanche. Pluie. Pas possible que ça soit de la gelée blanche s'il pleut. Donc… il neige. Il neige ! Merde ! Il NEIGE ! Qu'est-ce que je fous à MOTO sous la NEIGE ?
Options : faire demi-tour ou continuer. Hmmm… Il est trop tard pour rentrer et prendre la bagnole. Tant pis : je continue. Il a fait trop chaud ces derniers jours pour que la neige tienne sur le bitume. Enfin… normalement.
Je sors du village avant la forêt. Les champs de part et d'autre de la route sont blancs. Les flocons mélangés à la pluie commencent à coller à la visière. Ils éclaboussent le phare. Peut-être que les gants d'été n'étaient pas une si bonne idée.
Je débouche sur le bas du plateau. Le vent s'invite : les flocons obliquent. Encore cinq kilomètres et je suis tiré d'affaire. J'essuie de plus en plus souvent la visière, pour finir par ne même plus reposer la main sur le guidon. Ils arrivent par gros paquets serrés. En face, les voitures roulent lentement, warnings allumés pour certaines : qu'est-ce que ça doit être là-haut ! Heureusement, il n'y a personne derrière moi : j'ai déjà assez des phares qui viennent d'en face, je me passe volontiers d'un ahuri pressé qui ne se serait rendu compte de rien.
J'accélère ou je ralentis ? Je ne sais pas d'où vient la tempête, si elle me suit ou si je me dirige vers elle. Au détour d'un virage, j'ai ma réponse : un camion se traîne en warnings à guère plus de 60 ; pas question de faire la tranche de jambon entre deux pare-chocs. Un petit bout droit et j'ouvre en grand pour dégager au plus vite. Peut-être retiendra-t-il assez la circulation pour que j'atteigne l'usine sans poursuivant.
Dans la forêt, le vent se calme. Les flocons m'arrivent dans la figure depuis un trou noir vingt mètres devant moi. Je me souviens de ce que mon père disait : qu'il ne faut pas se laisser hypnotiser par d'où ils semblent provenir. Une grosse langue de neige fondue glisse sur le compteur puis se détache pour s'écraser sur mon ventre. Avant-dernier virage à droite. Trois voitures en face m'éblouissent tardivement, le faisceau de leur phare masqué par la neige épaisse. L'un d'eux klaxonne, peut-être à mon intention.
Dernière ligne droite. Je sors de la forêt. Je me suis gouré tout à l'heure : la neige peut coller sur la route. Je coupe et me place dans la trace de droite, clignotant allumé. J'espère que j'ai pris assez d'avance sur mon camion d'arrière-garde. Je tâte doucement le guidon. Ça semble tenir. 40 à l'heure. J'entends le flotch-flotch des paquets de neige projetés dans le garde-boue avant. Connard de Vrai Motard. Je vais faire comment pour rentrer ce soir ?
J'arrive sur le parking de l'usine. Pas la peine d'y mettre une roue : tout est déjà blanc. Je me gare en vrac à côté de la cantine. Un gros plastron de neige me tombe du torse quand je quitte la selle. Les flocons s'entassent déjà dans les recoins. Il y en a trois centimètres au moins sur la haie.
Onze heures. Lapin-Lap1 est tout blanc. Ça roule au ralenti sur la nationale que je distingue à peine à travers le blizzard.
Midi. Il ne neige plus.
Treize heures : le soleil arrive.
Seize heures : plus un nuage dans le ciel, presque tout a fondu. La route fume et sèche.
Fin de l'hivernale impromptue.
g2loq- Co-administrateur
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