80 km/h : l'immense satisfaction d'un bilan en demi-teinte

Pirouettes et caca-boudin ! 




Par Philippe GUILLAUME 21 juil. 2020

80 km/h : l'immense satisfaction d'un bilan en demi-teinte

La nouvelle déléguée interministérielle à la sécurité routière vient de faire passer le bilan des deux ans d'expérimentation des 80 km/h et annonce 349 décès "épargnés". 
Ça n'a pourtant pas marché comme prévu mais ils sont très contents quand même.



C'est peu de dire que la mesure fut loin de faire l'unanimité, développant dans le camp des pour ou des contre des arguments aussi tranchés que parfois peu rationnels : la mesure du passage des biroutes (les routes à deux voies sans séparateur central) à 80 km/h, passage en force par l'ex Premier Ministre sous le regard bovin de son chef qui a avoué plus tard que c'était "une connerie", a carrément divisé le pays. Nos édiles avaient promis de faire le point au bout de deux ans : comme les promesses n'engagent que ceux qui y croient, voici le point et pour bancal qu'il soit, il semble peu probable de revenir en arrière. Voici pourquoi. 



Médaille Fields

On ne peut, sans aucun doute, que se réjouir d'une action qui a permis d'éviter 349 décès sur deux ans, alors que l'objectif grimpait jusqu'à 400 par an. Néanmoins, la lecture du communiqué de presse émis par le Cerema (centre d'étude et d'expertises sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement), organisme mandaté par le Premier Ministre pour évaluer cette question (ce type de cabinets est rarement occupé par des punks qui s'expriment contre le pouvoir en place) est intéressant à plus d'un titre, même s'il est peuplé de quelques éléments qui semblent contradictoires. 

Les statistiques portent sur 20 mois, le Covid-19 ayant poussé les membres de la commission à les borner à fin février 2020. La période "80 km/h" est comparée à la moyenne des années 2013 à 2017, et elles font état d'une augmentation de 48 décès sur le réseau non limité à 80, et donc, d'une baisse de 349 en tout. On notera que le graphique qui montre la différence entre le 80 et le pas 80 en fait des caisses : un écart de 10 % occupe la moitié de l'espace (la recette est connue de tous les spécialistes en communication), et on voit bien qu'avant les 80, la courbe était baissière depuis des années et qu'en toute logique elle aurait du continuer ainsi, effet 80 ou pas, d'autant qu'il n'y a pas d'inflexion dans la poursuite de la baisse (avec deux s). Bref : pas de quoi comprendre l'impact du 80. Et ce d'autant que la grande campagne de dégradation des radars ne s'est pas accompagnée d'une hausse de l'accidentologie. 

On aurait d'ailleurs aimé plus de détail : une départementale ardéchoise où tenir le 60 km/h est compliqué ne vaut pas une départementale champenoise où traverser d'immenses étendues calcaires au ralenti tient du supplice. 

Par ailleurs, le communiqué multiplie les affirmations qui paraissent contradictoires, si ce n'est mathématiquement curieuses.

On apprend ainsi que : 

L'acceptabilité sociale de la mesure progresse, passant de 30 % d'opinions favorables à 48 %. Pourtant, les automobilistes seraient 58 % à ne pas respecter cette limitation de vitesse sur les biroutes, dont 23 % roulant même a plus de 80 km/h. 
Baisser la vitesse de croisière de 10 km/h n'aurait pas d'impact sur le temps de trajet. La commission l'estime à une perte d'une seconde par kilomètre et considère même que dans 19 % des cas, les trajets sont plus rapides qu'avant. Etonnant, non ?, aurait dit Pierre Desproges. 
Enfin, entre le temps perdu, le coût du remplacement des panneaux et la baisse de TIPP concomitante à des consommations logiquement réduites sur les véhicules, on aurait pu penser que cette mesure a couté de l'argent à la collectivité. Eh bien non, ça a permis de faire gagner 700 millions d'euros par an. On veut bien entendre le coût de l'accidentologie, mais faudra qu'on nous explique comment 170 vies sauvées par an permettent d'économiser une telle somme ? A moins que ce ne soit une augmentation des recettes des radars.



Ethique et toc !

Mais en réalité, c'était perdu d'avance. Quand bien même, par des détours statistiques dont nos gouvernants ont le secret, la mesure aurait permis de sauver une seule vie voire même de faire un blessé grave en moins, voire même de ne pas écraser un châton (le grand public aime bien les châtons) sur le bord de la route, le combat aurait été de toute façon perdu. En effet : la vie, c'est sacré. L'écologie, c'est sacré. L'espace public, dans l'ère des réseaux sociaux et de l'émotion, ne permet plus le débat ; ce n'est pas pour ou contre, mais Bien versus Mal. Sauver des vies, être écolo, c'est bien. Rideau pour ceux qui voudraient essayer de mettre un peu de finesse dans le débat. 

Morale de l'histoire : les stats de la DGSR sont peu compréhensibles et l'opération n'a pas atteint la moitié de ses objectifs. Dans ces conditions, et dans le même contexte, un étudiant serait recalé, un commercial viré et tout le monde trouverait ça normal. Mais, ça, c'est dans l'Ancien Monde. Dans le Nouveau, on décide de continuer comme ça.
Allez, bonne route. 

De toute façon, on fait dire ce qu'on veut aux chiffres... Nous avons eu l'agréable surprise de trouver pas mal de routes repassées à 90 km/h en rentrant de vacances, depuis le Morvan jusqu'à Nancy en passant par les départementales. 
On a malgré tout l'impression de gagner du temps ou en tout cas, de moins se trainer...